L’ethnicité, lorsqu’elle est ignorée ou instrumentalisée, devient un facteur de division plutôt qu’un élément de richesse culturelle. L’instrumentalisation ethnique dans la vie sociopolitique africaine est une réalité qui a façonné et influencé les dynamiques de gouvernance ainsi que le fonctionnement des structures et les associations socio-politiques dans nos Etats.
La question ethnique est généralement soit évitée dans les débats publics, soit exploitée à des fins politiques, ce qui empêche une véritable réflexion sur son rôle dans la construction d'une nation de rêve pour les générations futures.
Pendant les périodes électorales, les discours publics sont souvent scrupuleusement scrutés et souvent mal interprétés.
Le réflexe identitaire est comme un cancer dans le corps humain. Pour les jeunes Etats africains, il est incontestablement le défi majeur auquel les cadres devraient être attentifs afin de préserver et de consolider patiemment nos traditions d'amitiés et de solidarité.
Nos sociétés doivent privilégier la promotion d'une conscience nationale qui repose sur l'égalité des chances, le respect des lois, la solidarité pour tous et la valorisation de la culture du travail.
Plutôt que de nier l’existence des appartenances ethniques, il s’agirait de les intégrer dans un cadre qui valorise la diversité tout en renforçant une conscience nationale.
L'utilisation des identités ethniques sert à mobiliser politiquement et à conquérir un pouvoir local, un positionnement au détriment des projets de société et des thèmes qui valorisent l'unité nationale et la cohésion sociale comme solutions globales et durables.
En général, les États africains sont souvent confrontés à des tensions ethniques au début de leurs campagnes électorales, perturbant ainsi brusquement tous les efforts déployés dans le pays pour renforcer les structures économiques et sociales et même les fondements de l'État.
Les campagnes électorales devrait- elles nous éloigner de nos aspirations d'unité nationale et la prospérité partagée ?
Le vrai défi est de construire une société où les citoyens votent librement et souverainement au référendum ou à d'autres rendez-vous électoraux sur des projets de société et non par rapport à une appartenance ethnique. Cela est essentiel pour la stabilité et le développement de nos pays.
En réalité, la question qui se pose est celle de la gestion de la diversité sans qu’elle ne devienne un facteur de division. Comment pourrait-on encourager et développer une approche qui transcende les clivages ethniques tout en respectant la richesse culturelle et traditionnelle des communautés ethniques africaines ?
Les recherches démontrent que les sociétés qui ont réussi à résoudre les causes et les facteurs de leurs divisions ont finalement réussi à atteindre des résultats économiques enviables et à assurer un avenir de paix et de prospérité à tout leur peuple.
L’anthropologie est l'ensemble des sciences qui étudient l'être humain en société et l’appartenance ethnique, qui s’est imposée comme un cadre structurant des sociétés africaines contemporaines, pose en même temps, des défis majeurs lorsqu’il s’agit de dépasser les logiques communautaires pour bâtir une citoyenneté inclusive.
Normalement, on devrait s'attendre à ce que ces attitudes de méfiance et de réserves discrètes soient plus marquées en milieu rural, où l’attachement aux traditions et aux communautés locales est souvent plus fort. Malheureusement, il semble que ce phénomène prend racine dans les centres urbains en période électorale.
Cela pourrait s’expliquer par plusieurs facteurs : en ville, la compétition politique, sociale et économique pousse souvent les individus à se regrouper de façon informelle en fonction de leur appartenance ethnique pour renforcer leurs liens et s'assurer de suivre et de respecter les recommandations et des consignes. Pourtant, à l'origine et en règle générale, ces regroupements et autres associations urbaines à caractère restreint, familial ou villageois sont apolitiques. Leur but est d'encourager les fréquentations et les échanges, de renforcer les liens d'appartenance collective et de créer des opportunités d'influence.
Dans les régions rurales, les formes de coopération et d'interdépendance dépassent les frontières territoriales et surpassent les clivages ethniques, car la survie et la cohésion sociale, qui englobent les relations d'échanges et de production, dépendent davantage des liens fonctionnels que des identités ethniques strictes.
Cette situation soulève des questions sur le rôle des cadres, de l’élites et des structures institutionnelles étatiques dans la promotion de l’inclusivité et du dialogue interculturel.
Question !
Y a-t-il une distinction entre l'appartenance ethnique et le réflexe ethnique, communément appelé ethno-centrisme ?
OUI !
Du point de vue de la sociologie, l’’appartenance ethnique et le reflexe ethnique ou l'ethnocentrisme sont deux concepts opposés bien que liés à l'identité et aux relations intergroupes, mais ils renvoient à des qualités et des réalités complètement différentes.
Les cadres africains trouvent difficile de tenir compte du réflexe ethnique en tant que réaction de fragilisation du tissu social territorial, et donc un obstacle à la concorde sociale.
Dans des sociétés multiculturelles, la reconnaissance des identités ethniques peut bien coexister avec le refus de l'ethnocentrisme, en favorisant le dialogue interculturel, c'est à dire comprendre une culture selon ses propres valeurs et sans aucun autre jugement hiérarchique.
L'appartenance ethnique est positive en tant que sentiment qui se construit peu à peu, par le partage avec d'autres valeurs dans un même espace et dans une même réalité socioculturelle dictée par la tradition. L'appartenance ethnique aide à forger son identité et à apprendre des autres, la communauté familiale et la communauté territoriale sont liées en groupe social dont les membres vivent ensemble et partagent des formes de croyances, des biens et des intérêts communs.
La famille élargie renforce les liens de solidarité et forme à donner le meilleur de soi-même et de se sentir fier de faire partie d'un groupe élargi et plus fort. En parlant de étrangers on dit : “ En Afrique, la personne qui arrive n'est ni un étranger ni un simple visiteur, elle vient s'intégrer à la famille et à la communauté.” C'est la règle de l'ouverture et de la bienveillance dans l'appartenance.
En revanche, le réflexe ethnique ou identitaire est une réaction de force,
basée sur une accusation ou une réaction face à ce que l'on considère à tort ou à raison comme une provocation extérieure, ce qui se traduit par un jugement et une relégation.
En conclusion, les interactions humaines, dans toute leur diversité, tissent des liens qui transcendent les clivages et détruisent progressivement les réserves et les préjugés de toute part. Nos traditions d'hospitalité, les espaces partagés d'éducation, de commerce et de vie sociale forment un socle solide où la reconnaissance mutuelle finit par l'emporter sur les divisions artificielles.
Cette dynamique d’ouverture et de brassage est au cœur de la cohésion sociale que nous défendons avec conviction. En renforçant nos liens par le dialogue et la solidarité, nous pourrions non seulement dépasser les barrières culturelles et ethniques, mais aussi créer une société où l’inclusion, l'acceptation mutuelle, le souci de la réussite collective et le respect deviennent des principes naturels.
Dr Sékou Koureissy CONDÉ